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Amis plus lointains...

Joyce Carol Oates

"It was a new birth. I was renewing myself. Everything was being given me one more time." So Romain Gary said in his posthumously published The Life and Death of Emile Ajar, which appeared in France in 1981, the year after Gary's suicide. The book created a literary sensation in Paris since in it Gary acknowledged that he was the author of four popular novels published under the pseudonym "Emile Ajar." (The first "Ajar" novel, GrosCalin, had been a best-seller in 1974; the second, La Vie devant soi, was named winner of the Prix Goncourt for 1975, but, because one of the rules of the Goncourt is that a writer can win it only once, and Gary had already won, he was forced to decline the prize.) The publishing strategy for the "Ajar" books was artful: manuscripts were mailed to Paris from Rio de Janeiro, and a surrogate "Ajar," a cousin of Gary's, allowed himself to be interviewed and photographed. Explaining his motives in the posthumous memoir, Gary claimed he was tired of being "the famous Romain Gary"; he wanted to be someone else. By the age of fifty-nine he had written thirty-three books, had won numerous prizes, and was one of the most successful and admired of French writers. "I have always been someone else," he said. And: "I wanted to be a spectator at my own second life." And, quoting the Polish writer Witold Gombrowicz: "There comes a day when a writer is held prisoner by 'la gueule qu'on lui a fait' ('the mug which the critics have given him") -an appearance which has nothing to do with his work or himself." suite


Sebastien Ortiz

"Voici un livre qui d'emblée se glissa sous mon lit sans préméditation car on n'a jamais besoin de raison pour se planquer et ma jeune adolescence pâtissait parfois d'une réelle absence de panneaux de signalisation avec tout ce que cela sous-entend de privation du droit d'asile, de banlieue parisienne et autres systèmes d'évacuation bouchés sans possibilité d'atoll. Or, à mesure que je découvrais les frasques tendres et désopilantes de ce double insoupçonné qui se berçait tout seul, s'escrimait à vaincre l'angoisse statistique en se réfugiant auprès de son python de deux mètres vingt « dans un but de rapprochement et de fraternité », effectuait le tour du monde dans un ascenseur aux côtés de Mlle Dreyfus, « une Noire de la Guyane française comme son nom l'indique » qui provoquait en lui un effet immédiat de « surplus américain » - eh bien à mesure que nous échangions ses signes de connivence sans faire appel au SAMU, mon exemplaire de Gros-Câlin vient à muer et à se couvrir d'écailles qui progressivement me tombèrent des yeux - « La vie est une affaire sérieuse, à cause de sa futilité »". Sebastien Ortiz est l'auteur de Tâleb, paru chez Gallimard en 2002.


Joann Sfar

"Mais il y a une troisième chose qui est présente dans mes histoires, c'est peut-être le centre de tout mon travail, c'est que j'ai perdu ma maman quand j'étais tout petit et que je fais des histoires pour lui parler. Et je me dis que plus mes histoires seront connues, plus elle aura des chances de les lire. Ce vide que j'essaie de combler en dessinant trois pages par jour et en en écrivant deux, plus j'avance dans l'existence, plus il me semble béant. C'est le centre de toutes mes histoires, c'est un immense vide, une immense tendresse. Romain Gary, auteur que j'admire beaucoup, dit que les hommes ont besoin de toute la tendresse du monde et que les chats et chiens, cela ne suffisait pas… qu'il a fallu en plus les éléphants. Et bien moi, je suis vraiment comme ça. Je suis une espèce de grosse boule de gentillesse, de tendresse, d'énervement et c'est cela qui transparaît dans mes histoires, c'est l'envie de dire "merde, c'est trop court, on n'est pas là assez longtemps". J'ai envie de vivre plein de vies à la fois, et comme dans ma vie, ben… finalement il se passe des choses chouettes mais il ne se passe qu'une vie, je veux raconter dix bandes dessinées à la fois pour vivre dix vies à la fois. C'est ça le moteur de mes histoires. Et c'est un moteur très égoïste. C'est pour ça que je n'ai pas peur de louper un livre, je n'ai pas peur de faire une histoire qui ne plaira pas aux gens parce que mon moteur est extrêmement égoïste. " Joann Sfar est notamment l'auteur du Chat du rabbin, publié chez Dargaud.La suite de l'interview sur le joli site : "bdparadisio" : " suite

Keren Ann

"Je relis très souvent Romain Gary, j'adore cet auteur ! L'année dernière, j'ai relu pour la troisième fois Les mangeurs d'étoiles, et cette année c'était Adieu Gary Cooper... Les livres de Gary sont pour moi comme les contes de Lewis Carroll, des ouvrages intemporels dont je ne pourrai jamais me lasser... "





Christiane Rochefort

"Un jour de 1980, mon amie Noëlle, qui "faisait" plutôt les polars dans un des quelques hebdos parisiens qui tenaient à peu près le niveau, se voit confier la critique d'un vrai Gallimard Blanc. En ces termes: "On ne peut pas ne pas en parler, et personne ici n'a très envie. Vous voudriez pas le faire ?" Quelque chose comme: rendez-nous service. "Et vous êtes totalement libre, n'est-ce-pas, ne vous croyez pas obligée d'en dire du bien si vous ne le pensez pas, ce n'est pas une critique de complaisance." C'était LES CERFS-VOLANTS de Romain Gary. Dans cette période, tout le monde se disputaient "les" Ajar qui faisaient en rangs serrés des entrées fracassantes dans la littérature, la vraie. Et on ne savait pas encore que c'était le même. "Hé! tu sais quoi? me dit Noëlle, qui l'ignorait aussi, il écrit, ce mec!" Quand Noëlle énonce "écrit" ou moi, et quelques autres à compter sur les doigts, c'est un mot important. Qui ne saurait être défini. Mais nous nous comprenons: dans "il écrit", il y a respect. Et émotion. Bref, il y a "art", je tiens à exhumer ce mot puisque tous les essais de remplacement ont été encore plus dévoyés que lui. C'est ainsi que, grâce à Nöelle Loriot et au désistement des autres, occupés avec le petit nouveau nommé Ajar, Romain Gary a eu pour son dernier livre (mais on ne savait pas que ce serait son dernier) une critique qui le reconnaissait pour ce qu'il était: un type qui écrit. Là-dessus, on s'est rué sur tous les autres Gary disponibles, et voilà: il y avait, en France, un écrivain superbe, inconnu au Panthéon. Avec 25 livres. Tous bons, même plus que bons pour la plupart. Et partout des étincelles, ma foi, de génie. Et ça ne se sait pas. Pourquoi? On affronte là le premier mystère Gary. Là-dessus, il se tue. L'idiot (qu'il me pardonne). Juste quand on partait en croisade. On avait envie de le connaître. De lui parler: sûrement on aurait eu de quoi. Sur comment on fait nos livres. Méthodes comparées. Et Gary mériterait bien une thèse. Il n'en a pas dit assez dans LA NUIT SERA CALME. Là-dessus arrive la révélation que le fameux Ajar, c'est ce Gary tout poussiéreux, oublié dans un coin. Des gens qui se trouvaient justement en plein dedans ne pouvaient rester longtemps étonnés. Jeux de syntaxe, vertiges de paradoxes, et même personnages bien-aimés (Madame Rosa de LA VIE DEVANT SOI existe dans LES CERGS-VOLANTS comme Margot comtesse Esterhazy, Gros Câlin est présent dans CHIEN BLANC et même l'expression "faire pseudo" apparaît dans LA NUIT SERA CALME). Que Gary n'ait pas été soupçonné sous Ajar n'est pas important. Sauf que cela fait qu'on se demande si les gens qui en font métier lisent; et apporte un début de clé pour le premier mystère Gary: il n'a pas été lu. En tout cas, pas avec l'oeil littéraire, et d'ailleurs où est-il celui là? Jusqu'au CERFS-VOLANTS, j'étais commes les autres ordinaires, esclave de l'image: un Gary auréolé de gloire militaire, diplomatique, mondaine, gaulliste et d'une magnifique actrice, décoré de médailles et de deux prix. Trop d'auréoles. Et celle de l'écrivain était la plus pâle: les textes de présentations eux-mêmes, qui pourtant sont faits pour informer sur l'écrivain, donnent aux auréoles quatorze lignes et, en trois lignes finales, indiquent deux titres: ses prix. Ils signalent qu'il en a écrit 27 autres sans donner de titres. L'écrivain Gary, il fallait le chercher. Quand on le cherche, on le trouve. Lu de près, chacun des livres de Romain Gary révèle, pas seulement une belle langue, un style étincelant qui paraît couler de source; et un climat. Pas seulement de la vraie pensée - poussée jusqu'à ses derniers retranchements, et donnée en formulations fulgurantes (à vrai dire, l'idéologie va jusqu'à encombrer parfois, le signifié bouffe le signifiant, pour parler en termes... Vous voyez, je lui trouve quand même des défauts: des défauts de surabondance; il arrive aussi qu'il se répète, mais en fait c'est exprès: il enfonce son clou.) Chaque ouvrage montre, en plus, une connaissance quasi exhaustive de ce dont il parle, lieux et histoire, il a bûché: tous les vents (LA TÊTE COUPABLE), et les peuples indiens de Colombie, et je ne cite pas le reste faute de place. Tout cela déjà aurait dû lui assurer une de ces bonnes gloires, qu'on dispense souvent à moins. Mais - surtout - et c'est là qu'on entre dans "l'écriture": des jeux; ce qu'on appelle aujourd'hui avec conséquence: "mise en scène", et des passages proprement géniaux. Partout. Dès ÉDUCATION EUROPÉENNE, déjà, on pouvait être alerté. Dialogue entre la prière hébraîque et l'angoisse juive, dialogue des noyés de la Volga. Malgré ça, ÉDUCATION EUROPÉENNE marche bien: prix, traductions. Alors, se croyant permis, il nous donne TULIPE. Un chef-d'oeuvre. Un dialogue sur le trottoir de New York qui n'a rien à envier à ceux de Céphalonie du grand (et reconnu tel) Albert Cohen. Le bide, TULIPE. Ce sera ainsi tout du long. LE GRAND VESTIAIRE, retour à la presque normale, se porte mieux (très bien aux États-Unis). LES RACINES DU CIEL bien sûr: un excellent gros roman de facture presque classique et un des meilleurs Goncourt il faut dire. Apportant tout de même la notion, inaugurale en France, d'écologie. Là, grand tirage. Puis des nouvelles, bonnes et raisonnables (dont l'extraordinaire LA DERNIÈRE HISTOIRE DU MONDE), et le joli jeu de LADY L. Après quoi le voilà de nouveau de ce tremplin qui s'élance hardiment vers sa vraie vie. Mais: qui a lu LES MANGEURS D'ÉTOILES ? ADIEU GARY COOPER, "cette petite merveille"? LA DANSE DE GENGIS COHN, LA TÊTE COUPABLE, autre splendeur, CHARGE D'ÂME ? Moi certes, lorsque j'ai pris le mors aux dents, et je ne peux pas citer les "traits de génie" collectés là-dedans, il y faudrait une thèse. Lisez-les plutôt, c'est plus délectable que de l'universitaire. Remontée spectaculaire avec CHIEN BLANC mais ici c'est le sujet qui emporte l'émotion - encore que je vois là le traitement le plus littéraire qu'on puisse faire avec de l'autobiographie. Comme ça, tout du long. Plus il est écrivain, moins on le reçoit. Cette très grande étrangeté ne nous dit pas qui il est, mais qui nous sommes. Alors, pour être soi-même, pour avoir le droit, pour être reconnu pour ce qu'il est vraiment, faut-il qu'il devienne un autre? Il va tenter ça. Complètement. Il faut être un aventurier pour tenir une affaire pareille. Ça marche. Peut-être parce que c'était un "coup", et qu'il est soutenu. À présent c'est les "coups" qui marchent, pas les produits. Mais là il faut dire, le produit tient le coup. Ajar nouveau-né, inconnu, partant de zéro, met le paquet. Ajar ne se refuse rien, il est lui-même à fond: il se livre carrément à l'écriture, proprement dite, que le message se débrouille pour passer dedans, et il fait. Bien sûr. Toujours. Ajar est du Gary concentré. Surveillé, tenu en laisse. Mis en scène, quoi. "Gary" pour l'alibi continue en même temps, c'est la double journée (comment fait-il ? sa puissance de travail reste un mystère, que même LA NUIT SERA CALME n'explique pas entièrement), Gary, lui, se tient sagement. Bien que. Relisez LES CERFS-VOLANTS. Et le langage de Laura dans AU DELÀ DE CETTE LIMITE...(livre inaugural, au fait, jamais on n'a parlé aussi ouvertement de la sexualité masculine). Pour ne parler que d'un seul des Ajar (sinon c'est la thèse), L'ANGOISSE DU ROI SALOMON - le plus traité, le plus achevé - est tout un exercice de style, où par le véhicule d'un autodidacte plein de mots mais sans syntaxe, Ajar, pardon, Gary, nous restitue celle-ci dans le printemps de ses fraîches couleurs perdues. Je donne un seul exemple: "Le grand Arthur Rubinstein, qui avait les traits exigés par les antisémites..." Ses livres sont pleins de ces vues de l'autre côté du miroir, et ça rappelle la pensée poétique. Lui-même écrit: "C'est quand même étonnant à quel point je suis sous-estimé en France. Ils ont soupçonné Queneau, Aragon, mais pas moi, alors que tu m'es si proche." PSEUDO: exercice de funambule sur trois fils en jonglant avec cinq balles et trois torches allumées et sans filet bien sûr. La preuve. Quand on pense que le "dit-il" qui dit ici, c'est Romain Gary, surnommé par Ajar Tonton Macoute, qu'il appelle Paul parce qu'il l'a fourré dans la peau de Paul Pavlowitch, le "tu" si proche étant Gary, on peut voir comme sa double vie a du être commode, sans parler de celle de Paul. Il dit encore: "S'ils ne sont pas capables de trouver tout seuls quels sont aujourd'hui les grands écrivains en France, tant pis pour la France. Je disais ça comme ça." PSEUDO encore. Ce qu'il faut noter c'est le "Je disais ça comme ça." Qui augure mal de l'avenir. On peut lui accorder que, de raisons de s'en aller d'ici, il n'était pas en manque. N'empêche, n'empêche. il avait vingt bonnes années à écrire. Je porte le deuil des vingt livres qu'il m'aurait encore donnés. Dans le dernier mien*, il y a un texte intitulé: LAMENTATION FRATERNELLE, car ainsi je sens. C'était mon requiem personnel." Ce texte est paru dans Le Figaro à l'occasion de la publication de la biographie de Gary par Dominique Bona. Christiane Rochefort (1917-1998) est l'auteure, entre autres, de Printemps au parking, Les petits enfants du siècle, *Le Monde est comme deux chevaux, et La Porte du fond (Prix Médicis 1988).


Mais aussi,


Nancy Huston, Tombeau de Romain Gary, Actes Sud ; Professeurs de désespoir, Actes Sud