http://www.romaingary.org










-> Accueil Romain Gary

Rencontres avec Gary...

Jacques Etienne

"Parfois la vie se fait taquine. Longtemps vous vous étiez cru maître des choses et du destin et vous voilà bouchon jeté au gré des vagues d'une mer en furie contre les brisants. Et les brisants, ça casse. Vous échouez enfin, bouchon écorché de partout, sur une plage solitaire, inhospitalière… Un désert, humide et glacé.

Trêve de métaphores. J'allais sur quarante ans. Très allégé. Dans ma chambre meublée à Londres, je pouvais faire le bilan. Envolés veaux, vaches, cochon couvée, famille, foyer, amour, pays. De l'autre côté, la vie devant moi… La vie comme on la voit quand on est fracassé et qu'on se doute que tous les whiskies de l'Ecosse ne seront remèdes que le soir et catalyseurs d'angoisse au matin.

C'est alors que j'ai rencontré Gary. Pour de bon. Je le connaissais déjà, bien sûr. J'avais goûté son humour. Comme on fait dans le confort, en esthète. J'allais le découvrir mieux. Car il y avait dans mon livre de chevet d'alors des phrase à vous requinquer le bouchon . A vous défracasser le bonhomme :

« Il s'est tu, pour m'encourager, car,des fois, la pire des choses qui peut arriver aux questions, c'est la réponse »

« Il a même réussi à empêcher une fille de se suicider, en lui prouvant que ce serait encore pire après. »

« Ils parlaient ensemble de la sagesse orientale qui leur est d'un grand secours, là-bas, quand on ne les a pas tués avant »

« Vous avez un sens aigu de l'humain, mon petit et c'est très douloureux. [...] Vous auriez fait autrefois un excellent missionnaire… au temps où on les mangeait encore. »

« Il faut prendre les choses du bon côté, mademoiselle Cora, sauf qu'on ne sait pas toujours lequel c'est. Ca ne se voit pas très bien »…

« Elle a recommencé à sangloter. C'était peut-être parce que le champagne s'est arrêté et l'a laissée seule. »

« Il paraît qu'ils ont des écoles de clowns en URSS où ils vous apprennent à vivre. »

« Il n'y a rien de pire pour un malheur que de manquer d'importance. »

« - Un brave homme, un brave homme ! répéta monsieur Salomon à deux reprises, pour mieux se contredire.
– Oui, c'est un méchant con, reconnus-je. »

« Le stoïcisme, c'est quand on a tellement peur de tout perdre qu'on perd tout exprès, pour ne plus avoir peur. »

Je vous en passe des dizaines, des centaines, aussi bonnes mais qui ne concernaient pas la situation. Celles-là parlaient à mon mal-être.

Une bonne mécanique : on avance une platitude qu'on plastique d'un paradoxe, grinçant de préférence. Et voilà le malheur qui sourit ou le bon sens qui perd les pédales. On relativise, ça fait chaud : on n'est pas seul.

On est sur le fil, sans balancier et le pied pas bien assuré. Ben, ces petites lueurs ironiques, ça fait des points de repère. On avance… On a beau savoir que le funambule en chef , un jour de stoïcisme (ça tombe souvent le 2 décembre, le stoïcisme) s'est fait un croche-pied, ça ne change rien. C'est les risques du métier. Si personne ne croyait en la possible chute, pas de public, pas d'artiste. C'est comme ça.

Les belles leçons, les meilleurs aphorismes, ça ne vous remet pas à neuf. Mais ça aide à faire un petit pas en avant… Et comme dit si bien la chanson : « La meilleure façon de marcher, c'est encore la nôtre, c'est de mettre un pied devant l'autre et de recommencer ».

Ainsi, de petit pas en petit pas, on finit par atteindre le bout du fil. On abandonne le funambulisme pour la terre ferme. On se refait une existence, plusieurs si nécessaire. Et revenu le confort, on redevient esthète. Mais on n'oublie pas.

Voilà ce qu'a été et reste pour moi Gary : un faiseur d'étoiles dans la nuit.

Je ne suis pas fan. Je n'aime pas tout. Je ne le suis pas dans bien des envolées. Les pieds sur terre, j'ai vite le vertige. Mais comme Brassens c'est un compagnon à qui je suis fidèle. Fidèle au rire doux-amer dont ils ont su parer leur angoisse… et, accessoirement, ma vie."

Katch

"Tout a commencé avec « Chien blanc ». Un choc. Une révélation. Il existait donc un écrivain mettant sur papier ce que je ressentais. Il n'y avait pas que Stephen King d'un côté, que je lisais avec avidité, et, de l'autre, les auteurs classiques découverts à l'école que je trouvais un peu barbant. Il faut bien avouer que Zola ou Balzac, à treize ans, ce n'est pas très palpitant. J'avais bien été envoûté par Baudelaire, mais c'était différent et trop loin de moi. La condition du poète, je ne voyais pas trop. Satan Trismégiste, ah ben oui, mais bon.

Et puis un jour, posé dans un fauteuil, je lis: « Les gens qui avaient organisé cette réunion, quelle que fût la couleur de leur peau et en dehors des escrocs présents, ont fait la preuve d'une fraternité authentique : celle de la connerie ». Pardon ? Je me dis que je dois avoir mal lu, je reprends quelques lignes en arrière. Même chose. Je suis tout retourné. Je continue le livre avec un intérêt croissant maintenant que je sais que je suis en compagnie d'un ami. Il se charge d'ailleurs de me le rappeler tout de suite : « Il me semblait jusqu'à présent que, là où il y a de la haine, il n'y a pas d'éducation. Il y a déformation. Dressage». Cette fois c'est décidé, celui-là je ne suis pas près de le lâcher ! Tout le livre continue comme ça, avec une lucidité extraordinaire, avec, pour la première fois exprimées devant mes yeux, des idées qui se tenaient en moi, bien sagement, attendant formulation. Une chose troublait alors le gosse de quinze ans que j'étais, un passage qui m'interpellait sans que je parvienne à le comprendre. Une des plus belles vérité énoncées par Gary. Une évidence qui m'est apparue quelques années plus tard, lorsque je me suis retrouvé au milieu de la nature, le plus loin possible des hommes, poussé là par une envie de hurler, mais soudain apaisé par cette immensité qui m'entourait, par l'humilité qui me rattrapait. « J'écris ces notes à Guam, face à mon frère l'Océan. J'écoute, je respire son tumulte, qui me libère : je me sens compris et exprimé. Seul l'Océan dispose des moyens vocaux qu'il faut pour parler au nom de l'homme ».

Après il y a « La vie devant soi » et « La promesse de l'aube » qui me bouleversent également, alors je décide de m'intéresser un peu plus à cet auteur qui me plait tellement, je me plonge dans sa vie, tant bien que mal, je m'émerveille, devant ce qui est vrai, devant ce qui est faux. Mais avec lui on constate vite qu'il n'y a pas de vrai ou de faux en fin de compte. Il y a l'amour et l'imagination. L'imagination et l'amour. Et, caché la derrière, l'homme. Un homme à inventer, mais, surtout, un homme qui, quel qu'il soit, doit savoir rire de tout et donc de lui.

« L'homme – mais bien sûr, mais comment donc, nous sommes parfaitement d'accord : un jour il se fera ! Un peu de patience, un peu de persévérance : on n'en est plus à dix mille ans près. Il faut savoir attendre, mes bons amis, et surtout voir grand, apprendre à compter en âges géologiques, avoir de l'imagination : alors là, l'homme ça devient tout à fait possible, probable même : il suffira d'être encore là quand il se présentera. Pour l'instant, il n'y a que des traces, des rêves, des pressentiment,…Pour l'instant, l'homme n'est qu'un pionnier de lui-même. Gloire à nos illustres pionniers ! » "

Jeanne

"C'était un jour de novembre. Je n'avais encore rien lu de lui. J'avais acheté, un an auparavant le petit recueil de nouvelles de l'édition folio à 2 euros. Je me sentais un peu coupable de ne pas le connaître, moi qui me targuais d'aimer la littérature. Et puis je ne l'ai pas lu. Quelques années avant cela, j'avais offert à un ami les oeuvres complètes d'Emile Ajar, sans même connaître la fameuse histoire… Sans doute devions-nous nous rencontrer ? Bref, toujours est-il que j'ai commencé à lire la Promesse de l'aube , en plein mois de novembre. Et puis, très vite dans le livre, il y a eu cette célèbre phrase que je ne connaissais pas à l'époque : "Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais." Dieu que c'est bon ! Comme je l'aime cette phrase, elle me va droit au coeur, là, directement, comme une flèche. Je ne saurais l'expliquer, d'ailleurs je me moque éperdument des raisons qui font que je l'aime, je l'aime un point c'est tout. Et ce livre, du début à la fin, quel plaisir! J'ai ri à en pleurer, prise pour une folle en plein métro, et puis j'ai eu une petite boule, là, dans la gorge. Il n'y avait pas de larmes non, "elles ont la cuisse légère" et elles ne sont pas toujours fiables. Mais de l'ordre du petit noeud qui vous serre la gorge, qui rend les choses un peu, un tout petit peu plus difficile. J'étais gaie en le lisant "et pourtant, et pourtant, j'étais triste comme un enfant." J'ai terminé de lire son livre à Nice, où je me trouvais par un heureux hasard, encore un. C'était bon d'être dans la ville de son adolescence et de terminer la Promesse de l'aube.
Depuis je ne m'arrête plus de le lire, il est partout avec moi. J'aime passer d'un livre à l'autre, car c'est toujours le même et c'est aussi, toujours un autre."

Emma

"J'étais une adolescente un peu révoltée… et qui se posait beaucoup de questions…(je m'en pose toujours autant, mais bon…) j'étais un peu en quête de mon identité. Et les livres faisaient déjà partie intégrante de ma vie. La littérature, c'était mon refuge. Et puis un jour (je crois que j'avais 17 ans), j'ai ouvert un livre que ma mère étais en train de lire: Les mangeurs d'étoiles, de Romain Gary. Et j'ai commence a lire, et j'ai été transportée dans un autre monde. Pour moi, Romain Gary était un peu un magicien, avec les mots, et c'est ce dont j'avais besoin à ce moment-là, d'un peu de magie … ‘d'un peu de merveilleux'. Ca a été une rencontre importante dans ma vie, et après avoir lu ce livre j'ai lu tous les livres de lui que j'ai pu trouver… (Chien Blanc, La Promesse de l'aube, Les Racines du ciel, Les Cerfs-volants, Les Clowns lyriques … Il y en a beaucoup que je n'ai pas réussi a me procurer, comme je vis dans une petite ville dans le sud de l'Inde, et notre bibliothèque locale est assez limitée…) Et à chaque fois, c'était une découverte, un émerveillement… Romain Gary se livre tellement, dans ses écrits, j'avais l'impression de vraiment le rencontrer, de le découvrir… Et j'avais aussi l'impression de me découvrir moi-même…de me retrouver…Il réussissait si bien, avec des mots si juste, à dire ce que je ressentais au plus profond de moi. Il exprimait tellement d'idées que j'avais eues, sans jamais parvenir à les formuler en leur étant fidèle. Il avait compris tant de choses sur la nature humaine. Et plus tard il y a eu une autre rencontre, encore plus forte et intense, celle avec Romain Gary sous son pseudonyme d'Emile Ajar. La Vie devant soi et L'Angoisse du roi Salomon sont des livres qui me donnent de l'espoir… C'est tellement difficile à exprimer avec des mots, tout ça… Ce sont des livres qui m'ont fait rire et pleurer, qui m'ont beaucoup changée, qui m'ont aussi aidé a mieux me connaître. Et que je relis à chaque fois que je ne sais plus trop où j'en suis, à chaque fois que j'ai besoin d'une nouvelle bouffée d'espoir. Celui qui les a écrits fait maintenant partie de ma vie depuis presque dix ans…C'est un de mes compagnons de route les plus fidèles… Ca m'a fait quelque chose d'apprendre que L'Angoisse du roi Salomon a été écrit l'année de ma naissance…"


Genia

"Ma première expérience Garyenne 1987 .. l'année du BAC. Les examens viennent de se terminer. Le temps de flâner, de rêver, de tuer le temps dans la torpeur estivale, et de tomber sur un pavé de 200 pages, couverture brune,"Romain Gary, Biographie, par Dominique Bona".
Je n'avais jamais lu un livre de lui, j'ai commencé par le roman, … de sa vie. La démesure du personnage, le côté caméléon écrivain-diplomate-aviateur-séducteur m'ont tout de suite fascinée.
Restait à le lire. Ce fut fait avec La Promesse de l'auberesté jusqu'à ce jour mon préféré. La question de l'amour maternel et de la fausse promesse qui nous force à "manger froid" toute notre vie, bien plus que de nombreux textes de psys, m'ont guidée pour comprendre les autres et lire à l'intérieur de moi-même.
Donc, démesure, clownerie, et désespoir. Ce que j'ai retrouvé ensuite dans Lady L. et Le grand Vestiaire.
Plus tard, Les Racines du ciel m'ont donné de Gary une autre image, celle du documentaliste inlassable connaissant et recréant l'Afrique coloniale et le monde de l'après-guerre d'une manière impressionnante, avec pour pivot l'éléphant, autre expression de la démesure.
Le dernier palier de ma rencontre : Emile Ajar, est toujours inexploré. J'ai vu le film "La vie devant soi" avec Simone Signoret, mais lire le livre me fait peur. Du Gary-pas Gary, alors que moi je voulais du Gary monolithique, sans concession.
Mon prochain projet garyen est de lire l'hommage de Nancy Huston."